Toute justice émane du Roi
Il représente la loi et c’est à lui que revient la charge de la faire appliquer. Mais dans l’organisation administrative du moyen âge, le pouvoir royal est bien loin. Selon le système pyramidal d’exercice des pouvoirs (de Suzerain à Vassal) le roi délègue son droit de haute, moyenne et basse justice au seigneur du lieu, c’est-à-dire le jugement et l’exécution de celui-ci, laissant au justiciable en cas de désaccord le recours au tribunal royal.
Pour faire un parallèle avec notre époque, nous pouvons faire correspondre la haute justice avec la cour d’assise, la moyenne justice avec le tribunal correctionnel, et la basse justice avec le tribunal de simple police.
Le territoire de la paroisse d’Avernes est calqué sur le cadastre Gallo-Romain, et à part quelques très légères rectifications, ce sont les limites actuelles de notre commune. Ce territoire n’a jamais été dans son ensemble le bien d’un seigneur mais a toujours été morcelé en plusieurs propriétés d’où l’expression Seigneur d’Avernes en partie. De ce fait le seigneur justicier possède des droits sur des terres ne lui appartenant pas.
Au fil des temps, le pouvoir royal se renforce et son organisation administrative s’étoffe, le droit de justice d’Avernes tombe en désuétude et va disparaître par suite de mutation ou faute de personnes désirant en être responsables. Ce processus est courant dans toute la France : c’est l’époque des guerres de religion et de nombreux seigneurs ayant soutenu la ligue sont condamnés et ils perdent une grande partie où la totalité de leurs pouvoirs, d’autres préférant délaisser au roi l’exercice de la justice en ces temps troublés.
Au nom du Roi Henri IV c’est désormais le baillage de la ville de Meulan qui a la charge de traiter les affaires de justice de la paroisse d’Avernes. En juillet 1722, M. Ferrand d’Avernes demande au roi Louis XV l’érection de sa terre en Marquisat avec rétablissement de la haute, moyenne, et basse justice (requête qui fut refusée à cette époque).
Pourquoi le Seigneur Ferrand entame-t-il une action qui semble aussi rétrograde : vouloir rétablir la justice d’Avernes ?
La raison n’est pas seulement le goût du pouvoir et celui des honneurs. Elle est beaucoup plus simple : deux seigneurs se partagent la majeure partie du terroir d’Avernes ; ce sont les seigneurs Ferrand et de Boissy qui se haïssent. Tous les efforts de Ferrand consistant à chercher un pouvoir de pression sur son rival et celui de haut justicier en est un.
Un incident va exacerber les rivalités et déclencher le conflit : le garde-chasse de M. Ferrand interdit à M. de Boissy et à ses invités de chasser sur leurs terres. Cette plainte débouche par la division, le 8 novembre 1720, du territoire de chasse de la paroisse en deux, suite au jugement rendu par M. de Gaillon Lieutenant des Maréchaux de France. Le titre et la fonction de Haut Justicier permet de neutraliser ce jugement, d’où les démarches effectuées à partir de ce moment par M. Ferrand de Cossay.
M. Ferrand renouvelle sa requête en 1725. Celle-ci est accueillie plus favorablement (ce changement d’analyse et de position des officiers du baillage de Meulan restera pour toujours un mystère). Le 26 août 1726, M. de Boissy et M. de Gars seigneur de Frémainville tentent de la faire échouer. Ils font savoir que, propriétaires de terres sur le terroir de la paroisse d’Avernes, ils s’y opposent fermement. Ce sera la dernière bataille. Les officiers du baillage de Meulan consentent à céder leur charge et le 9 avril 1727 ; le Duc de Sully seigneur engagiste du Domaine et Comté de Meulan consent à céder la justice d’Avernes contre la somme de 10.000 Livres. En juin, le Roi Louis XV procède à l’établissement de la justice d’Avernes.
La salle d’audience est installée dans le bâtiment se trouvant à gauche de la porte d’entrée de « la grande ferme » où l’on peut remarquer les pierres de taille de la porte d’entrée, aujourd’hui murée. Elle nous laissera le nom actuel de la rue. La potence est réinstallée sur le sommet dominant le village (endroit aujourd’hui utilisé comme terrain de ball trap), l’emplacement choisi est celui des ruines d’une villa romaine du IVe siècle, où seront tirées les pierres formant la base du gibet.
Le choix est judicieux : de tout endroit du terroir d’Avernes le monument est visible (son action dissuasive est excellente ou les habitants d’Avernes très sociables : il n’y aura, pendant toute l’existence de la justice d’Avernes, aucune condamnation à exécution). De plus l’endroit est incultivable. Sur le cadastre actuel le lieu est toujours mentionné sous l’appellation «la remise de la justice».
Le 23 septembre 1727 le Lieutenant Général du baillage de Meulan vient inspecter et vérifier que la justice peut être rendue décemment (vérification de la salle d’audience, des fourches patibulaires ainsi que la compétence des juges et du personnel). La justice d’Avernes fonctionnera jusqu’à la Révolution, date à laquelle toutes les justices locales seront abolies.
Avernes fera partie dorénavant de la juridiction de Pontoise.
Extrait de l’article paru dans le bulletin municipal de juin 1997. Auteur : Michel Thomas.