La libération d’Avernes (vu par P.SIMON)

Mes parents arrivèrent à Avernes début 1937, mon père y étant nommé Facteur Receveur des PTT. J’avais alors moins de trois ans. Ils y vécurent l’immédiat avant guerre, la guerre et l’occupation, la Libération et la période économiquement difficile qui suivit. Fin 1951, mon père fut promu Receveur à Mailly-Champagne (Marne) et nous quittâmes Avernes.

J’y ai donc passé toute mon enfance, ma sœur et mes deux frères y sont nés, je m ‘y suis fait mes premiers copains, j’y ai vécu mes premières expériences heureuses et malheureuses.
C’est pourquoi ce village, tel que je l’ai connu à cette époque, est resté cher à mon cœur et j’éprouve beaucoup de plaisir et de nostalgie à l’évoquer ici.

La libération d’Avernes

Avernes, petit village du Vexin situé au nord de la Seine, fut le théâtre de combats assez violents entre les troupes américaines et les Allemands désireux de les contenir. La libération du village lui-même dura une bonne demi-journée. Les Américains y perdirent un soldat et les Allemands eurent quelques tués avant de se rendre ou de se replier. Mais auparavant, nous entendîmes les bruits de la bataille pendant plusieurs jours et assistâmes aux mouvements des unités allemandes qui occupaient ou traversaient le village.
Quelques semaines avant la libération, nous fûmes témoins de deux évènements remarquables. Le premier, un combat aérien entre un spitfire de la RAF et un chasseur allemand, se déroula sous nos yeux, au-dessus d’Avernes. L’Anglais abattit son adversaire qui s’abîma dans les champs à quelques centaines de mètres de l’agglomération. Des Allemands stationnés dans le village partirent en toute hâte secourir leur camarade, qu’ils ramenèrent sain et sauf. Nous étions malgré tout, très fiers de la victoire de notre champion.
Le second s’avéra moins heureux, puisqu’un avion bi fuselage toujours de la RAF, fut à notre grand dépit, abattu à 2 ou 3 kilomètres du village. Le lendemain des Avernois travaillant dans les champs, renseignèrent deux grands gars en civil, au fort accent canadien, qui souhaitaient s’éloigner au plus vite de la zone et se cacher en attendant d’être secourus.
Malgré l’interdiction de nos parents et de l’institutrice Madame Gédet qui nous avait fait la leçon en classe, notre curiosité nous poussait à approcher les Allemands cantonnés dans le village. Un jour que l’un d’entre eux cassait la croûte en notre présence, il nous tailla à chacun une grosse tranche de pain bis, y tartina du beurre puis du pâté et nous la donna. Je ne sais plus si nous l’avons remercié, mais je me souviens que nous dévorâmes notre tartine de bon cœur, n’étant pas habitués à manger ensemble sur du pain, du beurre et du pâté.
Toujours à la même période, mon père qui cultivait en plus du sien, le jardin du père Thibault situé à la sortie ouest du village, s’aperçut un jour qu’un canon anti-char allemand était dissimulé, avec ses servants, derrière la barrière dudit jardin, face à la route allant vers Meulan. Il se hâta de partir et n’y revint qu’après la libération du village, pour constater que l’engin avait été détruit sur place.
Les combats se rapprochent, il y a beaucoup de militaires allemands dans le village. Ce jour là j’assiste avec mes copains route de Meulan, à une scène inédite. Une vingtaine de soldats reviennent de la direction du front. Ils paraissent fatigués et donnent l’impression de ne plus vouloir combattre. A l’entrée du village, ils se heurtent à un gradé furieux qui les harangue méchamment. Après un moment, ils repartent vers la zone des combats, accompagnés du gradé.
Quelques jours après, les combats se rapprochèrent de notre village. Un obus « égaré » ayant détruit une partie du mur séparant le fond de notre jardin de celui de M. Thibault et du presbytère, papa décida de creuser une tranchée pour nous y abriter en cas de besoin. Je participai évidemment à l’opération, convaincu d’aider mon père.

En fait, cet abri ne fut jamais terminé. Quelques jours après, l’attaque des Américains nous obligea à aller nous réfugier avec d’autres, chez M. Papin propriétaire du marché/ rue de Gadancourt, qui possédait une cave solide et sûre. Nous y avons vécu deux ou trois jours, je ne m’en souviens plus. Mon père allait chaque matin au bureau de Poste occupé par des Allemands, pour s’assurer que tout était en ordre.
Le jour de la libération, nous entendons dans la cave le bruit des combats. En début d’après midi il pleut et nous regardons la grande place devant le café, face à la ferme Duval. Nous apercevons alors des soldats vêtus d’imperméables verts, guêtrés et coiffés de casques recouverts de filets alors inconnus de nous. Lorsque nous voyons que ces hommes poussent devant eux des Allemands désarmés levant les bras, les adultes de notre groupe comprennent qu’ils regardent nos libérateurs. Ils se précipitent alors vers eux pour les voir de plus près. Nous les enfants, nous n’avons évidemment pas le droit de les accompagner. Mais j’assiste de loin à la destruction des fusils allemands récupérés, très intéressé par ce spectacle insolite. Ceux-ci sont placés à cheval sur la chaussée et le trottoir, puis un soldat américain en brise la crosse d’un coup de talon violent.
Le lendemain matin de ce jour mémorable, mon père retourna au bureau de poste pour inspecter la maison afin de s’assurer que rien ne manquait et préparer la réinstallation de la famille. Dans la cave il découvrit deux Allemands qui s’y cachaient. Il les connaissait, car ils appartenaient au groupe de militaires occupant le bureau de Poste. Ils lui firent comprendre qu’ils voulaient se rendre. Papa alla donc chercher des soldats américains stationnés non loin de là et c’est ainsi, que mon père fit sans arme, deux prisonniers pendant la Seconde guerre mondiale.
Dans les jours qui suivirent, chacun raconta ce qu’il avait vu lors de cette journée exceptionnelle. Nous apprîmes ainsi, qu’à quelques dizaines de mètres du bureau de Postes, un Allemand retranché bloquait la progression des libérateurs dans la rue principale, à la hauteur de la menuiserie Danger. Pour en finir, Il fallut qu’un Américain, caché derrière les persiennes fermées d’une fenêtre du premier étage de notre maison, le tue d’un coup de fusil. Pour ce faire il avait enlevé une lamelle d’un des volets. La dernière fois que je suis allé à Avernes, en juin 1986, cette lamelle manquait toujours au volet.
Avernes eut aussi sa femme tondue. Les jours suivant la Libération, apparurent des FFI de fraîche date, qui à défaut de combattre les Allemands déjà partis, s’en prirent à une malheureuse ayant poussé la collaboration peut-être un peu loin, en accueillant chez elle des soldats ennemis. Au milieu du village, leur brassard tricolore bien apparent, ils firent asseoir la pauvre femme sur une chaise et, devant des spectateurs approbateurs, la tondirent totalement. L’opération terminée, ils lui rendirent sa liberté et elle se sauva en pleurs, sous les quolibets. A peine âgé de dix ans à l’époque, j’avais assisté intéressé à cet évènement inédit, qui m’avait paru alors dans l’ordre des choses.
Pendant les semaines qui suivirent la Libération, de nombreux convois américains traversèrent le village, montant vers le front. Il faisait très chaud et nous avions beaucoup de tomates au jardin cette année là.
Je me souviens. Je suis installé devant la Poste avec un cageot de tomates devant moi et j’en offre aux militaires qui de temps à autre s’arrêtent. En échange, je reçois des cigarettes, du chocolat ou des conserves que je vais porter triomphalement à Maman.
Je me souviens également d’un jour ou des hommes de la police militaire stationnèrent un moment devant le bureau de Poste, peut-être pour régler la circulation. Je suis sorti et, debout au côté d’un de ces militaires, je regarde passer les camions et blindés américains. Pour me faire plaisir sans doute, il me pose son casque sur la tête et me met sa carabine entre les mains, désarmée évidemment. Quelle fierté pour un enfant de 9 ans et demi !

L’auteur
Pierre SIMON
6 avenue de Campagnan
34230 PAULHAN
Tel 04 67 25 23 47
Courriel : pierre.simon0315@orange.fr
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